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mardi 7 juin 2011

SPECIALE BATAILLE DE NORMANDIE 8 : LE BOMBARDEMENT DE VIMOUTIERS LE 14 JUIN 1944 !


VIMOUTIERS DANS LA BATAILLE DE NORMANDIE
"Deux cent vingt français sont morts,
Une petite ville est anéantie,
Les oiseaux sont passés…" Jean Boullard -1946 -
Vimoutiers en feu - Photo Passard




A la demande de Pierre Samin, dernier survivant du "groupe Le Dorze", qui souhaitait que ces pages tragiques de l'histoire de notre ville soit fixées pour les générations futures, j'ai accepté avec empressement, à l'écoute de son témoignage et à l'aide de son "carnet de route" de compléter le travail que j'avais réalisé en 1974, à l'occasion du trentième anniversaire du Bombardement et de la Libération de Vimoutiers et qui fut publié par épisodes dans la revue Municipale "La Vie à Vimoutiers".
Les précieuses informations de "première main" ainsi recueillies auprès de cet authentique résistant m'ont notamment  permis de rendre compte plus complètement que je ne l'avais fait de l'action courageuse et efficace du groupe de résistance qu'il participa à fonder  le 8 juillet 1943 à Vimoutiers et de mettre en lumière les rôles joués par lui-même et 3 autres vimonastériens venus d'horizons différents mais unis dans un  même idéal de liberté . 

Le  Débarquement allié en Normandie


Depuis plus de deux ans, les Anglais rejoints par les Américains, se préparent à l'affrontement.
Tous les détails de l'assaut ont été minutieusement préparés. Un important matériel et un nombre considérable de combattants sont parqués en Grande-Bretagne attendant l'heure "H".

En France, les résistants sont à l'écoute de la B.B.C. et du message, un vers de Verlaine, qui , donnera le signal du débarquement :"Les sanglots longs des violons de l'automne bercent mon cœur d'une langueur monotone…".

Dés le début du mois de juin, l'aviation alliée frappe les routes et les voies de chemin de fer.

Le mardi 6 juin - le "D.Day"- à 6H30, le débarquement allié se déroule sur les plages de la côte normande à l'ouest et à l'est de Caen.

Une tempête sévit sur la Manche, la visibilité est médiocre, la mer déchaînée. Quelque cinq cent navires ont mis le cap sur les côtes françaises.

Hitler, qui s'attend à un débarquement dans le Pas de Calais, a dégarni ses défenses à l' Ouest pour y placer le gros de ses blindés.

Le Maréchal Gerd Von Rundstedt avait depuis un certain temps déjà informé le Chancelier du Reich de ses craintes concernant la faiblesse des moyens de défense des côtes de Basse Normandie. Il voulait des chars pour arrêter les alliés dans la campagne en cas de succès des opérations de débarquement.

Le Maréchal Rommel , chargé par le Führer de la défense du littoral, ne partageait pas son point de vue et pensait qu'il fallait combattre et défaire les alliés sur les plages.

Hitler partageait l'avis de Rommel et croyait à une victoire facile grâce aux fortifications du Mur de l'Atlantique.

Les troupes alliées débarquèrent là où les allemands ne les attendaient pas, sur 5 plages qui avaient été baptisées pour la circonstance : UTAH, OMAHA, GOLD, JUNO et SWORD.

10 divisions américaines, anglaises et canadiennes ouvraient un nouveau front et établissaient une solide tête de pont entre Caen et Cherbourg.

Dans la revue "Le Pays d'Argentan" de septembre 1946, le Docteur Boullard décrit en ces termes le raid allié :" Dans la nuit du 5 au 6 juin, commence un bombardement qui fait vibrer nos fenêtres, ébranle nos maisons. Cette fois, il s'agit à coup sur du fameux débarquement. L'intensité du bruit est telle qu'il ne peut être loin. Au matin, on apprend que la région de Caen est le théâtre des opérations. Nous sommes donc dans le coup et d'emblée à cinquante kilomètres du front. De quoi demain sera-t-il fait ?.."

Ce 6 juin, Argentan est bombardée. Les habitants fuient vers la campagne environnante.
Vers 22 heures, des fusées tirées d'on ne sait où illuminent le ciel de Tournai-sur-Dives.

Le bombardement d'Argentan a duré cinquante minutes et a détruit toute la partie Nord-Est de l'agglomération.

Les Anglais ont pris Bayeux. La Bataille de Caen s'engage.
Dés le 6 juin ,la population  a appris que le débarquement avait eu lieu par des  requis travaillant à Vimoutiers pour le compte de l'entreprise Todt (entreprise allemande de travaux publics ayant construit le Mur de l'Atlantique). Entendant au loin les bruits de canons, ils avaient reconnu des pièces de marine.

Dés le 5 juin , le groupe Le Dorze , qui a été rejoint par Henri Meslay, un ancien de l'armée d'armistice démobilisé après l'occupation de la zone Sud, est prévenu de l'imminence d'un débarquement et une réunion se tient au collège sous la présidence de Le Dorze, tandis que Mr.Vairoy surveille les abords .
A cette époque, le noyau dur de Vimoutiers qui dépendait du sous groupement de Trun-Gacé-Vimoutiers-Le Sap, dépendant lui même du secteur d'Argentan  avait deux chefs : Marcel Tiphaine pour les cantons de Trun et Gacé et Joseph Le Dorze pour le canton de Vimoutiers-Le Sap. Le Dorze  est chargé de répartir les tâches auprès de Bourneuf, responsable du Sap et  des chefs de groupes : Busnel, Peltot, Bourgault, Lubin et Godeau. Ils attendent sur les ondes de Radio Londres deux messages qui déclencheront l'action immédiate du groupe : "Il fait chaud à Suez" et "les dés sur le tapis".
Le premier message est le signal du "plan tortue" qui consiste à retarder la montée des renforts par voie terrestre. Il comporte essentiellement une mission anti- char.  Il a été soigneusement mis au point par le Commandant Desmeulles, chef départemental de l'Armée Secrète dont dépendait directement le groupe Le Dorze,  pour l'ensemble  du département de l'Orne. Il prévoit des abattages d'arbres successifs sur tout le réseau routier, la constitution de barricades dans certains villages, la destruction de panneaux de signalisation et des fléchages, l'attaque des éléments blindés en des points spécialement choisis, la coupure de plusieurs ponts routiers.
Se rattachaient également à ce plan des destructions concernant le réseau téléphonique, aérien et souterrain.

Le second message annonce le "plan vert" qui a pour but de provoquer la paralysie des réserves par le sabotage du réseau ferré. Les résistants ont pour mission de rendre inutilisable le réseau ferré, le sabotage étant exécuté soit par explosif, soit par détirfonnage des rails.
 L'action, à entreprendre dés le jour "J" devra se poursuivre 8 à 14 jours.

A 2 heures du matin, Pierre Annic vient frapper à la porte de Pierre Samin, Rue d'Argentan.

Il lui indique que les messages ont été réceptionnés et qu'il faut faire sauter immédiatement le câble téléphonique qui passe à la Bergerie et que l'entreprise Todt avait mis en place pour assurer les communications téléphoniques entre Falaise et le P.C. de l'O.B. Ouest à Fontaine l'Abbé. 
Son importance stratégique est grande . Pierre Samin , Henri Busnel et Henri Meslay se rendent en pleine nuit sur place mais n'ayant pu faire sauter le câble avec le pain de plastic qui leur avait été remis à cet effet, ils  le détruisent …à la pioche ! Ce sabotage ne sera découvert par les allemands qu'une semaine plus tard.

Au matin du 6 juin, Henri Busnel et Pierre Samin distribuent aux membres du groupe les armes et munitions qu'ils avaient cachées neuf mois auparavant. Ils sèment ensuite la perturbation dans la signalisation routière dans un rayon de 12 kilomètres en déplaçant ou supprimant des poteaux indicateurs.

Dans la nuit du 6 au 7 juin, le groupe fait sauter le pont de chemin de fer de la route de Gacé à la hauteur de Cutesson. Deux convois trouvant la ligne coupée, repartent vers Le Mesnil-Mauger et sont mitraillés  dans l'après-midi par la R.A.F. entre la Gare de Vimoutiers et Sainte-Foy de Montgommery.

Le 7 juin, les bombardiers survolent à nouveau Argentan et anéantissent une grande partie de la ville.

A Vimoutiers, en début d'après-midi, une formation de quelques chasseurs-bombardiers vient pilonner la gare et la voie ferrée. La défense passive, sous la présidence de José Sumsi, se réunit à la Mairie tandis que la Résistance, dont les effectifs augmentent chaque jour, toutes les nuits jusqu'au 10 juin sont à l'œuvre et exécutent courageusement et rapidement leurs missions : les lignes téléphoniques sont coupées, de nouveaux panneaux de signalisation sont détruits, barbouillés ou changés de place. Tout est fait, suivant les ordres, pour désorganiser et ralentir l'ennemi.

Pour se mettre à l'abri des combats qui se rapprochent, beaucoup de familles quittent Vimoutiers pour aller se réfugier dans des fermes aux alentours.

Tandis que les Anglais tentent d' étendre et de renforcer leurs positions, les Allemands se regroupent, principalement sur Caen où la Résistance est acharnée. Les Alliés qui ont désormais la maîtrise de l'air, attaquent les convois allemands, leurs chasseurs longeant les routes qui sont encombrées de chars, de camions, d'attelages hippomobiles mais aussi, en sens inverse, de civils qui évacuent et notamment des Caennais.

Les déplacements de troupes se font la nuit de préférence.

Le 9 juin, le groupe de Gacé, commandé par Maurice Lefrançois, mine les grand arbres qui bordent la descente des Burets à la Touques. Ils se mettent en travers de la route et la nuit suivante une voiture allemande s'y abîme. L'ordre est donné au Maire de faire dégager la route sous 24 heures.. ce qui est fait !

A Vimoutiers, le Docteur Boullard est chargé par le Docteur Dentu d'organiser la défense passive au plan sanitaire.

Trois postes de secours chirurgicaux sont prévus : un à l'hôpital, un autre à la halle aux Toiles et un troisième à l'Ecole communale de garçons.

A l'initiative du Docteur Boullard qui considère qu'un bombardement peut détruire toute la ville, le Dr. Gavin, qui est Pharmacien, fait entreposer des caisses de pansements chez Monsieur Joseph Blondeau au Pont-Percé, à la Hunière et chez Monsieur Bouillon aux Monceaux.

Les allemands réquisitionnent chevaux, vélos et voitures.

Dans la nuit du 10 au 11 juin appliquant les ordres de regroupement reçus la veille, les groupes de Gacé et Vimoutiers se retrouvent aux Burets pour fédérer leurs efforts.

Le 11 juin, à l 'aube, un convoi allemand est mitraillé à la Fauvetière.

Ce même jour, on apprend que la ville de Lisieux a été bombardée. La ville-Musée a été détruite et des centaines de civils sont morts.

Le 12 juin, Pierre Samin, en compagnie de Busnel, Meslay et Vignon transportent en carriole (toujours celle du "Père Samin") des armes cédées par le groupe de Gacé.

Le 13 juin des bruits circulent à Vimoutiers comme quoi la ville serait bientôt bombardée. On a même dit que des papillons avaient été lancés sur la ville par l'aviation alliée pour annoncer le bombardement. Certains ont  même prétendu que le vent les avait détournés de leur destination.

Pour donner un exemple de la force du vent durant ces journées de juin 1944, il faut savoir que l'on retrouva des feuilles de l'état civil de Vimoutiers jusque dans les environs de Monnai ( 15 kilomètres).

Si  la grande majorité de la population ne prête aucun crédit à ces bruits inquiétants qui circulent, d'autres préfèrent aller passer la nuit en campagne.

Pour illustrer ce que fut la vie à Vimoutiers durant ces jours d'incertitude, nous vous proposons la lecture d'une lettre écrite par une vimonastérienne à ses enfants un ou deux jours avant le bombardement. Ce courrier poignant prend une toute autre dimensions quand on sait que Madame Etienne , restauratrice, devait mourir au matin du 14 juin sous les décombres de sa maison. Son corps disloqué ne fut jamais retrouvé :

"Chers enfants,
Que devenez-vous ? Nous ça va pour le moment. J'ai expédié grand-mère aux Champeaux et Claude est avec moi, il ne veut pas aller aux Champeaux sans moi. Nous ne savons pas encore à quoi nous en tenir. On espère qu'il n'y aura pas de combats par ici, en tous cas Argentan est malade et Caen aussi. Nous avons une bonne tranchée au fond du jardin, si on est surpris on s'y coulera.
Nous sommes la veille du si beau jour, comme il ne faut jamais se fier au lendemain. Enfin, espérons que c'est bientôt la fin…Vous n'avez pas à vous tourmenter pour nous, si il y a quelque chose, nous allons aux Champeaux, je ne veux rien déménager momentanément. Toujours les soldats sont tous partis d'ici, s'il n'en vient pas d'autres, ça ira bien. Les clients sont rares…
 Votre mère,     ..A.Etienne."

Dans la nuit du 13 au 14 juin, le groupe Le Dorze, qui était sur le terrain commandé par le gendarme Annic tente sans succès la destruction du Pont de Cutesson et a un accrochage avec un convoi allemand qui monte vers le front. Fort heureusement ils peuvent "décrocher" sans problème.

Pierre Samin se souvient :" Au soir du 13 juin, nous attendions des ordres pour une nouvelle mission imminente alors je ne suis pas retourné à Camembert où étaient réfugiées ma femme et ma fille ainsi que l'épouse et la fille d'Annic. Je suis allé à la Gendarmerie avec lui. Tous les gendarmes étaient repliés pour la nuit dans des communes environnantes à l'exception de l'Adjudant Gillet et de Pierre Annic"

Le Jour fatidique


Vimoutiers au lendemain du bombardement - Photo Passard


Mercredi 14 juin 1944, 7H50 du matin, Vimoutiers s'éveille à peine.
A l'Eglise Notre-Dame où il célèbre la première messe, Monsieur le Curé s'apprête à donner la communion aux fidèles.
Monsieur Robion, Secrétaire de Mairie, s'est levé de bon matin pour aller travailler à son jardin, aux « Clos Tords ».

Le temps est splendide.

Soudain, des forteresses surviennent dans le ciel de Vimoutiers.


La Halle au blé partiellement détruite - Photo Passard


Monsieur Tomassin, garagiste, va chercher ses jumelles pour mieux les apercevoir.
Au dessous des forteresses il distingue d'énormes bombardiers américains rayés de bandes noires et blanches. Ils passent lentement.

Un habitant de la Bergerie, qui descendait à pied à Vimoutiers, voit les appareils passer puis 6 d'entre-eux faire demi tour et … revenir…

Brusquement, le silence qui régnait sur la ville est brisé par le bruit assourdissant d'une soixantaine de bombes qui presque en même temps écrasent le cœur de l'antique cité. Puis , durant les quelques instants de silence qui suivent la première rafale de la tourmente ce sont des cris qui éclatent, des cris d'horreur, d'effroi, de douleur d'une population innocente prise au piège de la guerre.
Le café de l'Equerre-rue du Moulin-Photo Passard


Témoin de cet événement dramatique, Jean Boullard raconte dans son livre « Vimoutiers »: Pierres, briques, ardoises, tuiles, verres, poutres projetés en l'air retombent en pluie et jonchent le sol. Des moribonds râlent à terre, appellent désespérément. Les avions reviennent et lâchent une nouvelle rafale. Une épaisse poussière couvre la ville, obscurcit l'air, empêche de suivre les oiseaux de mort. Dans cette demi-obscurité, c'est la course affolée d'un troupeau humain. Il est surpris par une troisième rafale, puis une quatrième et une cinquième. Le drame dure vingt minutes, vingt longues minutes…Devant nos yeux disparaissent des hommes; cette femme se sauve en courant sur son moignon sanglant, celui-là heurte du pied une cervelle humaine, cet enfant fuit en serrant son bras qui ne tient plus à son corps, une femme court le torse nu et les cris, des cris déchirants s'élèvent de la cité. A chaque rafale, des flammes jaillissent des maisons qui crépitent.
L'incendie gagne des pâtés de maison; les ensevelis entendent les flammes, sentent la chaleur et certains brûleront vifs. L'eau fait irruption hors de ses conduites éventrées. Des maisons soulevées retombent en morceaux. Le sol est un chaos.
Vingt minutes et Vimoutiers est détruit : deux cents français sont morts…"
La rue principale


Les premières bombes sont tombées sur la cidrerie ANEE. Mademoiselle Petit est à sa fenêtre, la déflagration la projette au fond de la pièce.
Dés qu'elle a repris ses esprits, elle sort de sa demeure épargnée et se rend sur les lieux du drame afin de porter secours aux victimes. La rue du Perré n'est plus qu'une suite d'énormes trous béants. Madame ANEE a été tuée dans sa maison.

Malgré les vagues successives de projectiles qui s'abattent sur la ville, les secours s'organisent. Monsieur Robion est bien vite rentré à la mairie où il commence l'évacuation des archives qui seront ensuite emmenées chez le Docteur Dentu mais toute la période de l'état civil avant 1800 ne sera pas retrouvée. Les gens surpris par le bombardement ne savent que faire. Monsieur Tomassin , notre garagiste, reste figé pendant toute la durée de l'attaque entre…ses pompes à essence et est épargné miraculeusement.

Monsieur Couvet, qui habitait Place Cour aux Moines n'a pas cette chance. Il sort de son magasin pour s'abriter sous un tilleul. Une bombe tombe à cet endroit .On ne retrouvera rien de lui.

On ne retrouvera pas non plus les corps de Monsieur et Madame Lemonnier, commerçants Rue du Moulin , ni ceux de la famille Villy qui tenait une épicerie Rue Sadi Carnot.

Une femme, qui a tout perdu est là en plein milieu de la rue du Moulin répétant sans cesse :"Et dire que je n'ai pas un sou pour manger ce midi !". José Sumsi, le visage gris et blanc à la fois hurle :"Attention ! Ils vont revenir, ils reviennent toujours !".

Au Pont-Vautier, des habitants du quartier ont cru pouvoir s'abriter sous les branches d'un grand marronnier, hélas, ils sont tous tués !
Sur les promenades, le long de la rivière, les enfants d'une colonie de vacances ont tous été massacrés alors qu'ils tentaient d'échapper aux bombes.

Le Docteur Boullard, matinal comme à son habitude, était arrivé à l'hôpital vers sept heures pour ses visites. Il en ressortissait quelques minutes avant le drame au cours duquel tout l'établissement fut anéanti.

Mademoiselle Leviel, Directrice de l'Ecole Communale de filles avait pris le chemin de l'église pour assister à l'office du matin. Arrivée sur la place, elle s'aperçut qu'elle avait quelques minutes de retard. Il était 7H35. Elle hésita alors à se rendre à la messe célébrée à la chapelle de l'Hospice qui ne commençait qu'un peu plus tard, mais en fin de compte, décision qui la sauva, elle opta pour celle de la paroisse.

En effet, si l'église fut épargnée, l'hospice attenant à l'Hôpital fut entièrement rasé, seule une religieuse survécut.

Lorsque commença le bombardement, l'Abbé Gagnion, qui officiait, invita les fidèles à quitter l'église.

Les paroissiens pensèrent d'abord se réfugier dans la crypte mais ils craignèrent que l'église ne s'effondra et abandonnèrent cette idée.
 Ils décidèrent alors de quitter le sanctuaire, certaines personnes sortant par la porte de droite, donnant sur la rue de Lisieux (actuelle avenue du Général de Gaulle) d'autres par le portillon de gauche (vers les écoles).

Ceux qui sortirent à gauche furent tués tandis que les autres telles que Madame Jean Boullard et Mademoiselle Leviel, tenant à son bras Madame Caisel, s'abritèrent  rue de Lisieux et furent épargnées.

Dans les décombres fumantes, les bénévoles comme Mademoiselle Petit ou Monsieur Cousin, préparateur en Pharmacie, accourent pour secourir les blessés.

Les morts sont entassés à La Bertrie, dans la crypte de l'église et dans un hangar situé en face de la maison du Docteur Dentu.

Pierre Samin, qui se trouvait à la gendarmerie en compagnie de son ami et chef le gendarme Pierre Annic a raconté les faits tels qu'il les a vécus ce matin du 14 juin dans toute leur atroce réalité:" Il faisait beau ce matin là. Il était un peu plus de 7H30, nous prenions notre petit déjeuner quand soudain nous avons entendu le ronronnement caractéristique des bombardier allées . Nous avons alors aperçu les avions dans le ciel qui sont passés puis revenus vers nous. Ils ont lâché un chapelet de bombes sur le centre ville : quartiers de la Halle au Blé, des Promenades, du Pont Vautier.

Toutes les vitres de la façade de la gendarmerie ont été soufflées par le mouvement d'air provoqué par les explosions.

La première vague à peine passée, on a entendu le bruit d'une seconde qui se rapprochait de nous. Nous sommes alors sortis de l'appartement , avons pris l'escalier  et sommes descendus  en catastrophe pour nous diriger vers les caves afin de nous y abriter. Nous avons croisé l'Adjudant Gillet , son épouse et une nièce qu'ils avaient ramenée de Caen qui descendaient aussi . Il y avait également un camarade résistant du nom de Le Douadic.

En arrivant au bas de l'escalier, Annic m'a dit qu'il allait voir si des victimes de la première vague avaient besoin de secours.
 Ce furent les dernières paroles qu'il m'adressa.  Il tourna à droite au bout du couloir, et sortit de la gendarmerie.
 Instinctivement je le suivais. Quand il fut au dehors je vis encore un bout de son uniforme avant que mon regard ne soit irrésistiblement attiré par des bombes qui venaient de se décrocher juste sur nos têtes.
J'étais sur le pas de l'escalier, l'Adjudant et sa famille étaient à l'abri dans leur cave en compagnie de Le Douadic.

Je traversais l'allée à mon tour et me dirigeais vers la cave d'Annic. Un jeune gendarme, Vincent, récemment affecté à Vimoutiers et qui revenait d'une garde à Ecouché en vélo a croisé Annic. Il a posé son vélo le long du mur de la gendarmerie, devant sa cave où il s'apprêtait lui-aussi à se mettre à l'abri.

Une bombe est alors passée juste devant lui, s'est enfoncée à 5 ou 6 mètres dans le sol avant d'exploser provoquant un soulèvement de la dalle de béton des caves et creusant un cratère de 12 à 15 mètres.

Vincent avait été projeté par l'explosion au dessus dans le jardin de Mademoiselle Fontaine. Fort heureusement pour lui, il s'en est tiré avec des blessures superficielles.

La famille Gillet, Le Douadic et moi nous sommes retrouvés ensevelis sous les décombres, sur le flanc de l'entonnoir causé par l'explosion. Plusieurs tonnes de terre étaient tombées sur nous mais fort heureusement,, un casier à bouteilles a empêché cette terre de se tasser sur nous et nous asphyxier.

 Le Douadic étouffait et le bombardement continuait..15, 20 longues minutes puis le silence, un silence qui dans notre 'tombe" nous a glacé le sang.

Les Vimonastériens qui étaient allés passer la nuit en campagne étaient redescendus et aidaient les premiers secours à dégager les blessés ensevelis ou emmurés. Le gendarme Roland Olive qui venait de Roiville les aidait.

On lui avait dit que la  gendarmerie était intacte. Au bout d'une heure, inquiet de ne pas voir l'Adjudant Gillet et Annic qui étaient de service, il a couru vers le bâtiment et a découvert l'entonnoir qui s'était formé à proximité des caves. Il a crié et nous lui avons répondu.

Avec l'aide de M.Colleu, garde champêtre et de Monsieur Bizet, carrossier,  il a déblayé peu à peu l'endroit où nous étions ensevelis.

Nous sommes sortis en état de choc, plus ou moins égratignés. L'Adjudant Gillet dut être évacué sur une civière car il avait une blessure à la jambe.

Quant à mon malheureux chef de groupe et ami, Pierre Annic, il a fallu trois jours aux volontaires bénévoles, pour la plupart des employés de la fonderie de Pontchardon,  pour le retrouver écrasé sous une pile de bois de chauffage stockée sur le pignon de la gendarmerie.
Il était mort victime de son dévouement..

Quant à moi, à peine remis de mes émotions, je reçus l'ordre du gendarme Fouquet de me rendre à Argentan pour prévenir les autorités. Pour ce faire, une motocyclette fut mise à ma disposition.. Je suis parti vers Camembert, Neauphes-sur-Dives, Trun. A Camembert je me suis arrêté quelques instants à la ferme de mes parents pour rassurer ma famille mais aussi, tâche difficile, pour informer Madame Annic de la mort de son mari.

Gêné par un camion allemand, je perdais l'équilibre et tombait  de moto à Neauphes mais réussissais cependant, malgré mes blessures, à rejoindre la gendarmerie de Trun qui m'a proposé de se charger de prévenir la sous-Préfecture et le capitaine de gendarmerie d'Argentan des événements tragiques qui venaient de se dérouler à Vimoutiers.

Après avoir été soigné par l'épouse du chef de brigade, je reprenais le chemin de Camembert où j'arrivais vers midi, complètement vidé par tout ce que je venais de vivre..

Lorsque j'arrivais à Vimoutiers les sauveteurs recherchaient toujours d'éventuels survivants mais les chances s'amenuisaient au fil des heures. Les dernières personnes sauvées furent sans doute les membres de la famille Goutier qui se trouvaient prisonniers des décombres de leur logement situé Place de la Halle au Blé…"

Vers dix sept heures, des bombes incendiaires à retardement explosent un peu partout dans la ville provoquant un immense incendie.

On enterre les morts au cimetière municipal, il fait une chaleur étouffante.

Le feu empêche les secours d'intervenir rue du Moulin où la plupart des maisons avaient été construites en pans de bois.
On récupère quelques pansements dans les décombres de la Pharmacie Gavin mais tous les médicaments ou presque ont été détruits.
Les blessés sont envoyés à Guerquesalles au château de Vimer où le Comte et la Comtesse de Touchet les accueillent chaleureusement.
Vimoutiers vient de vivre la journée la plus tragique mais aussi la plus meurtrière de toute son histoire.

Les secours s'organisent

Alors que Vimoutiers brûle, le château de Vimer est transformé en hôpital . Tous les blessés y sont bientôt conduits. Afin d'éviter une attaque de Vimer, on hisse sur les toîts une immense croix rouge.

A l'intérieur de la demeure, on s'organise. Les lits, les couvertures manquent.

On attendant l'arrivée hypothétique d'un chirurgien, le Docteur Boullard opère au rez-de-chaussée du château dans la chambre de Madame de Bonneval.
 A ses côtés, Madame de Touchet, qui avait été infirmière pendant la guerre de 1914-1918, anesthésie les blessés avec le peu d'éther dont elle dispose. Malgré ces conditions précaires, de nombreux vimonastériens leur devront la vie.

Dans un article paru en septembre 1946 dans la revue "Le Pays d'Argentan", Jean Boullard se souvient :" Argentan détruit, Lisieux détruit, L'Aigle détruit, Vimoutiers à son tour détruit. Hôpitaux ou cliniques de ces villes anéantis ou inutilisables. Des routes si peu sûres qu'on n'ose envoyer au loin les blessés. Chaque jour, mitraillages et bombardement font des victimes. Pour ces raisons, en trois heures le château de Vimer devint le lieu de paix où malades et blessés de la région de Vimoutiers purent trouver abri et soins. Les huit premiers jours, ce ne fut pas brillant. Pas de lits, des paillasses allemandes posées sur le parquet du grand salon. Enfants, femmes, hommes, pêle-mêle, geignant et souffrant. Une salle d'opération installée dans une chambre du rez-de-chaussée où vingt patients, endormis par Madame de Touchet furent dés la première après-midi opérés sur une table de cuisine. Et il fallut nourrir immédiatement 40 blessés sans pain, sans viande, sans pâtes, sans pommes de terre. Tout manquait : lits, draps, couvertures et la multitude d'objets nécessaires pour une formation sanitaire. Les objets de pansement faisaient également défaut; l'eau de vie remplaçait les antiseptiques. Les dons affluèrent rapidement et le secours national nous vint en aide. Mais les premières heures, les premiers jours furent tragiques. Vimer devint ambulance chirurgicale avec 80 lits et une radio. De toute la région, pendant trois mois affluèrent mitraillés, bombardés, malades, femmes en couches. Vimer fut le refuge respecté non sans peine par les allemands, respecté par les avions anglo-saxons.
Que les de Touchet si spontanèment accueillants et qui nous fournirent une aide si précieuse et si intelligente trouvent ici les remerciements émus de celui qui fut leur collaborateur pendant ces jours tragiques.."
A Vimer les mourant sont installés dans la chapelle où la messe est célébrée chaque dimanche.

La semaine suivante, un chirurgien et quelques infirmières arrivent au château.
Pendant ce temps, à Vimoutiers, on tente de retrouver les corps des disparus. Le dévouement des équipes de recherche, évoluant au cœur de cet horrible spectacle, est exemplaire.

Au cimetière, les restes des victimes sont déposés dans des sacs en papier et recouverts de chaux vive afin d'éviter tout risque d'épidémie.
La ville est détruite à 80%, tous les commerces sont sinistrés.
Les survivants, après la période de panique et d'affolement qu'ils viennent de connaître, choisissent, pour la plupart, d'aller s'installer en campagne.

Un grand nombre d' entre- eux camperont dans les "boves" de Roiville . Dans cette commune, le Maire, M.Buquet, accueille accueille médecins, pharmaciens, dentistes ainsi que le Maire, le Docteur Dentu et l'un de ses adjoints. 
"Les gens faisaient des exploits " se souvient Anne-Marie Dentu "la peur les galvanisait, ils étaient dans une sorte d' état second".

Monsieur Joseph Blondeau, avec une grande générosité, accueille dans sa ferme du Pont-Percé tous les services municipaux: secours national, banque, perception… Une soupe populaire y est servie midi et soir. De nombreux vimonastériens s'y rendent en longues files, certains ont tout perdu, jusqu'à leur famille.

Les commerçants alimentaires sinistrés s'installent dans les communes environnantes et assurent, tant bien que mal, l'approvisionnement des réfugiés. Pour se procurer du pain, on doit se rendre à Pontchardon, à Ticheville ou à La Bruyère-Fresnay. Les bouchers tuent et vendent de la viande au Pont-de-Vie, à Guerquesalles, à Roiville et à la Bruyère-Fresnay.
"Mais" raconte le Docteur Boullard "le malheur était partout présent, mais la guerre n'était pas finie, les mitraillages continuaient, les allemands de plus en plus désemparés devenaient arrogants, exigeants…"


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