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mercredi 6 juillet 2011

VIMOUTIERS - ARGENTAN : UN SI BEL HOMMAGE AUX FEMMES NORMANDES ! PORTRAIT : Gustave LE VAVASSEUR .

Gustave LE VAVASSEUR

Né en 1819 à Argentan, Gustave Levavasseur est considéré comme l’un des plus grands écrivains ornais, « l’une des voix les plus caractéristiques du XIX e siècle… » Il se voulait « d’une expression polyvalente où se retrouvent à la fois l’Histoire, la Poésie, la Nature et la critique littéraire ».
L’écrivain disait de lui : « Je ne suis qu’un joueur de flûte mais parfois de ma poitrine sort une note profonde… 
Si j’ai chanté les rois qui font trembler le monde,
J’ai célébré les Dieux qui font trembler les rois… »

« Poésie Epique, Philosophie, Connaissance rustique sont les trois formes de sa formation intellectuelle » disait à son propos Pierre Maugendre qui poursuivait « Comment ne pas reconnaître là celui qui a ouvert la voie à une forme de poésie typiquement ornaise mais Levavasseur ne fut pas que rêveur et poète, il s’intègre dans la vie de son temps et comme il a fait son droit à Paris, il y rencontre Beaudelaire, mais aussi la juridiction sous ses diverses formes, le journal officiel et la vie publique… »

Propriétaire d’une charmante chaumière à Roiville (prés de la propriété de Mr. et Mme Pierre MERCIER) où il aimait se retirer pour écrire, Gustave Levavasseur fut également, sous la deuxième République, maire de la commune de La Lande-de-Lougé puis Conseiller Général du canton de Briouze.

Il mourut le 9 septembre 1896.

Il nous a laissé de nombreux poèmes et quelques intéressants ouvrages parmi lesquels « Les artistes du département de l’Orne » écrit en 1859.
Le 6 juillet 1884, à l’occasion du Congrès annuel de l’Association Normande à Vimoutiers, il porta, lors du déjeuner, un toast en l’honneur de notre ville et de ses habitants, qu’il affectionnait. C’est un morceau d’anthologie . En voici le texte admirable :

« Messieurs, à Vimoutiers, on est bien, Dieu merci !
Mais, je ne vois pas trop ce que vient faire ici
L’Association Normande.
Est-ce une enquête 
Historique ? Depuis le jour de la conquête,
Satisfaits de leur lot et demeurant chez eux,
Les petits-fils sans bruit succèdent aux aïeux.
Vimoutiers a nourri, jusqu’à l’heure où nous sommes,
Beaucoup d’honnêtes gens, mais fort peu de grands hommes !
S’il faut choisir, Messieurs, entre l’honneur du bien
Et la gloire du bruit, nous ne regrettons rien.
Sommes-nous venus faire une enquête agricole ?
Mais la nature ici peut se passer d’école ;
Quels fourrages nouveaux et quels assolements
Allons-nous révéler aux herbagers normands
Qui se croisent les bras en ce pays superbe,
Où, sans se fatiguer, l’herbe succède à l’herbe ?
N’est-ce pas s’épuiser en efforts superflus
Que vanter le semoir quand on ne sème plus ?
Quel intérêt donner aux petites revanches
Du classique combat des sillons et des planches.
Quand il ne reste plus ni planches ni sillons ?
Et, que pour en tracer quelques échantillons,
Il faut aller en Chine embaucher des recrues ?
Est-ce qu’on va primer les faiseurs de charrues,
Lorsque ces vieux outils, de nos pères vantés,
Sont relégués parmi les curiosités
Et les engins cruels de haine et de torture
Qu’aux temps de barbarie avait l’agriculture ?
Nos bœufs, libres du joug qu’on leur impose ailleurs
Broutent nonchalamment la rosée et les fleurs ;
Un tapis de gazon devant eux se déroule
Et repousse plus dru sous le pied qui le foule.
Les vaches, à loisir, dans l’herbe qui leur plait
Choisissent le bouquet qui parfume leur lait.
Ici le ciel sourit à la terre normande.
Quand viennent les premiers beaux jour, on se demande
Si le hâle de mars, persistant en avril,
Ne mettra pas hélas ! l’herbe tendre en péril.
On fait risette à l’eau qui mouille les prairies.
Après le Mardi-Gras fêtant Pâques Fleuries,
Les vieux, la langue humide et le nez en avant,
L’espérance au gosier, flairent d’où vient le vent.
A la Saint-Jean les fins et curieux bonshommes
Rôdent sous leurs pommiers pour voir s’ils ont des pommes.
En été, l’œil du maître, affranchi du travail,
Suit la chair qui se tasse aux flancs de son bétail ;
A l’abri du soleil et bravant ses caprices,
Il regarde grandir ses veaux et ses génisses ;
Il adopte certains progrès, un des premiers,
Il s’épargne le mal de gauler les pommiers ;
Il fauche ses refus quand viennent les automnes
Et, pendant tout l’hiver il met le cidre en tonnes.

Ah ! si la femme était oisive comme lui,
Notre homme crèverait de pléthore et d’ennui.
Mais souvent le revers démentit la médaille,
L’homme ici ne fait rien mais la femme travaille.
Victime du bien-être, esclave du devoir,
Elle travaille, hélas ! du matin jusqu’au soir.
Pour toujours asservie à la vieille coutume,
Les pieds dans la rosée et le front dans la brume,
Par les sentiers ardus et tous les temps qu’il fait,
Elle part avant l’aube à la chasse du lait.
Si le jarret fléchit, la tête reste droite
Sous le joug meurtrissant la nuque qu’il emboîte.
Au bout de chaque bras, lourde mais vide encor,
Une « chane » d’airain, luisant comme de l’or,
Se balance et s’égaye en notes argentines.
Elle appelle au travail et sonne les matines ;
La femme habituée ou sourde au tintement
Va toujours, descend vite et monte lentement.
La besogne n’est pas encore commencée
Quand au pâtis lointain elle arrive lassée.
Ici les animaux sont rois, ils sont traités
Comme des électeurs ou des enfants gâtés ;
Pour ne point échauffer le bon lait des nourrices,
On chemine au devant de leurs petits caprices,
On subit leur rancune et leurs instincts boudeurs.
Ah ! les vaches parfois ont d’étranges pudeurs !
La bringée est fantasque, on l’appelle, on la prie ;
La voilà qui s’échappe à travers la prairie ;
Il faut aller au pied d’un vieux pommier
Qui seul de son honneur est gardien coutumier.
Et quand une mamelle est à peine épuisée
Souvent elle s’échappe à travers la rosée.
La blanche est plus pudique et plus bégueule encor,
S’obstinant à garder son lait comme un trésor
Virginal en retient la fontaine secrète,
Tant qu’on ne lui met pas un voile sur la tête.

La traite, dans l’été, se fait trois fois par jour ;
Il faut couler le lait quand on est de retour,
Baratter et pétrir la motte préparée ;
Il faut pour les lundis apprêter la « marée ».
La femme cependant doit en toute saison
Prendre soin de ses gens et tenir sa maison.
On n’a jamais connu de femme vaporeuse ;
La névrose qui fait rage au pays des fous,
N’a jamais recruté de malades chez nous.
Dans les réalités du ménage, la femme
N’a pas le temps, hélas ! d’avoir du vague à l’âme
Et, quand l’homme s’endort ou jouit sans raison,
C’est la femme surtout qui refait la maison ;
Elle travaille sans relâche, trop peut-être
Et la maîtresse ici fait un peu honte au maître,
Mais elle fait si bien ce qu’elle fait et nous,
Nous le ferions si mal. Messieurs, qu’en pensez-vous ?
Que nous devons la plaindre et lui crier : « courage ! »
Sans chercher gauchement à faire son ouvrage.
Mais ne devons-nous pas, modestes travailleurs,
L’aimer et l’estimer plus que partout ailleurs,
Et, pour récompenser sa vaillance et sa peine,
Lui donner en honneur une part souveraine ?
Pour moi disciple ancien des vieux maîtres normands,
Je croyais faire injure à leurs enseignements,
Si je ne vous disais, complétant leur programmes :
« Augerons, mes amis, à la santé des femmes ! »

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